Poésie acadienne : icitte, astheure!?! (2 de 2)

T’as déjà lu, j’espère, la mise en contexte du post précédent.

Pour ceux avec moins de mémoire ou qui sautent des étapes, le texte qui suit constitue l’intégrale du texte de présentation que j’ai rédigé pour un dossier publié dans le # 74 de la Revue Exit et qui regroupe les textes de Marie-Ève Landry, Gabriel Robichaud, Louiseau Louis (Katrine Noël), Julie Aubé, Louis Grant, Monica Bolduc et de moi-même.

So en gros, c’est comme un teaser du dossier pis c’est même pas une question : oui, tu devrais aller acheter la revue, parce qu’il FAUT lire ces textes-là. Tu peux probablement l’acheter chez ton libraire, mais si non, tu peux l’acheter icitte.

Ah, pis c’est aussi, en attendant autre chose, un écho au texte de Mathieu Wade, publié sur Astheure.com.

Donc voici, pis en italique, monsieur! :

Poésie acadienne : icitte, astheure !?!

C’est comme pas évident. Pas évident quand d’un bord, une littérature n’a d’autre choix que d’être assez multiple pour ressembler, ne serait-ce qu’un tant soit peu, aux lecteurs à qui elle s’adresse, pour servir son époque ; quelque chose comme le patchwork de toutes les caméras de surveillance à l’heure du hold-up, dans un rayon d’un mile autour du Gaz Bar. Encore moins évident quand de l’autre bord, on cherche quand même le gène commun. La trace d’un même ancêtre, le quelque chose de spécial dans l’eau qu’on boit, ou la qualité exceptionnelle qui nous définit par rapport à ceux d’ailleurs, à ceux d’avant. Genre de son du terroir, de beat de l’astheure, dans l’espace d’icitte, pour justifier un gros stamp rouge « Made in Acadie ». Qu’est-ce qui définit la voix acadienne en 2014? De quoi elle parle et sur quel ton? 

Parce qu’il faut pourtant commencer, on va y aller par la porte du côté, en parlant des Païens. C’est que depuis vingt ans, le quintette rock/jazz/loop-groove fait shiner une conception de l’Acadie moderne, multiple et jamais complètement saisissable. Et pour ce qui est de la poésie, ils sont devenus, grâce entre autres à l’influence du regretté poète Gérald Leblanc, les gars-qu’on-appelle-quand-on-veut-de-l’accompagnement-musical-pour-des-poètes. Je dirais même qu’ils sont en quelque sorte l’incarnation de cette continuité dont parlait Serge Patrice Thibodeau dans le dernier dossier sur la poésie acadienne monté pour la revue Exit[1]. Sur leur autel, ils ont vu se succéder au fil des jams, des années, un échantillon significatif des poètes acadiens contemporains, pendant même que se construisait une littérature de plus en plus autonome et capable de devenir sa propre référence, son propre modèle. Comme la poésie acadienne, les Païens sont un fricot d’influences auquel se rajoute toujours quelque épice qu’on n’avait pas vue venir, la rencontre entre la tradition et l’éclatement de la modernité. Je parle aussi des Païens pour la scène. Pour l’appel non pas « de la scène » (ce serait cliché) mais « à la scène » (c’est de toute façon plus juste). C’est qu’avec le temps, en Acadie autant qu’ailleurs, les événements voués à la diffusion de la poésie au-delà du cadre-texte premier (et qui, je le crois, doit toujours primer) ont laissé de plus en plus de place à des soirées/spectacles interdisciplinaires où les frontières qui distinguent les arts s’embrument pour ouvrir la porte à « d’autre chose ». Et la brume pogne vite entre la musique et la poésie, comme si lorsque mises en présence l’une de l’autre, la première devenait comme un outil de plus à l’arsenal rhétorique du poète ; à condition qu’il sache moduler avec elle, à condition que les musiciens écoutent. Et c’est là où je veux en venir : icitte, l’appel à la scène vient de la multiplication des moyens de le faire dans un contexte professionnel. Et de façon générale, je suis assez certain que dans la continuité des choses, il reste une sorte de professionnalisation du poète dans son rapport à la scène quand il comprend:

a) le fun qu’on peut avoir à dénaturer son propre texte en le recontextualisant, en le mettant en scène

b) le pouvoir démocratisant d’un show de poésie

C’est peut-être ce qui explique la résurgence de l’oralité dans les textes qui constituent ce dossier, que ce soit dans le ton, dans le choix du lexique et de la syntaxe, ou même dans le rythme du texte. Il faut dire que la trail de la langue se fait tapper depuis un bon bout, qu’il s’agisse de Guy Arsenault, qui la défrichait en 1973 avec le légendaire Acadie Rock, ou de Georgette LeBlanc, qu’on découvrait dans ce même dossier en 2006 et qui, en même pas dix ans, trois recueils et nombre de reconnaissances plus tard, est devenue une référence obligée dans la découverte du « Made in Acadie ». À cela s’ajoute, qu’on le veuille ou non, l’influence de la chanson et d’une certaine vague néo-folk, dont Lisa LeBlanc est certainement la plus éclatante porte-parole avec, pas très loin, ses proches cousines des Hay Babies (dont deux des membres signent des textes de ce dossier). Et c’est sans compter, dans une autre esthétique, sur la présence de Radio Radio, descendants de Jacobus et Maleco dont les textes paraissaient aussi auprès de ceux de Georgette LeBlanc et dont le travail avec la matière-langue en fait tout autant pour la revalorisation des déclinaisons orales du français dans les sphères du populaire. Forcément, ça influence. Plus encore, en lisant les textes de plusieurs de nos auteurs-compositeurs de l’instant, je ne peux m’empêcher de constater que le passage consumé de la poésie à la chanson n’est pourtant pas synonyme d’un appauvrissement du texte, pas plus que le versement vers l’oral ne peut l’être. Au final, c’est la pratique même de l’écriture qui compte. Peu importe la forme. Astheure comme hier, contribuer au patrimoine culturel et s’en nourrir tout à la fois, comme un dialogue en constante évolution, une synergie. Il n’est finalement pas si surprenant de voir que pareillement aux Herménégilde Chiasson, Daniel Dugas, Paul Bossé, Christian Brun et autres glorieux éparés du genre, la pluridisciplinarité demeure la norme chez les poètes : théâtre, chanson, peinture, photographie, vidéo, la lecture des biographies de chacun des auteurs-créateurs présentés ici confirme la variété de moyens dont ils disposent pour passer le monde au blender.

Toujours au chapitre de l’oralité, je mentionnerai aussi la création récente aux Éditions Perce-Neige d’une nouvelle collection intitulée Poésie/Rafale, qui se dédie aux nouvelles formes poétiques et aux auteurs ayant un penchant pour l’oralité et les textes qui fessent. Je crois qu’il faut y voir une volonté institutionnelle à ouvrir la porte à des formes que certains considéreront plus bâtardes et qu’à leur grand dam, il y a des chances qu’elles stickent around pour un bout. Tough luck! Cette tendance, on la sent bien dans les textes qui suivent et j’ose supposer que comme il s’agit dans la majorité des cas d’auteurs qui attendent encore d’être publiés, il s’agit plus d’un portrait de l’underground actuel de la poésie, des racines qui poussent et qui laissent deviner le paysage qui s’en vient. Il faut dire que tous les jeunes poètes de ce dossier sont toujours en latence de trentaine et qu’à moins d’une précocité digne de mention, nous étions plus occupés à nous écorcher les genoux dans la cour d’école qu’à assister à la pourtant pas si lointaine re-re-renaissance culturelle qui découlait du premier Congrès mondial acadien de 1994. En contrepartie, nous avons l’avantage, contrairement à nos prédécesseurs, d’arriver à terme d’écrire en nous inscrivant dans un corpus déjà étoffé, éprouvé, contesté, et nourri au sein de mythes qui lui sont propres. Dans mon cas par exemple, et je suis peut-être de la première trâlée à pouvoir le dire, mon baptême de la poésie est passé presque entièrement par les auteurs acadiens. S’en sont suivis ceux du Québec, de la francophonie canadienne et de la francophonie mondiale, sans ordre particulier. Pas que tous les poètes présentés ici n’aient forcément suivi ce cheminement ; loin de moi l’idée de me revendiquer comme étant l’archétype de mes contemporains. Je crois par contre que c’est une des particularités de la génération montante[3] que cette simple possibilité de se construire un imaginaire littéraire en partant du Même pour s’ouvrir vers l’Autre, plutôt que l’inverse.

Dans le même ordre d’idée, écrire et lire icitte et astheure, c’est de tripper à découvrir simultanément Mourir à Scoudouc et Une saison en enfer, de lire Alma en écoutant Nevermind. C’est l’élargissement du champ de patates des possibles, l’OGMisation de l’offre culturelle, pour le meilleur ou pour le pire, whatever. C’est aussi l’Internet, l’hyperlien, le clic, l’éparpillement et le layering de l’imaginaire. D’ailleurs, d’un point de vue strictement générationnel, et même si cette donnée n’a a priori rien à voir avec la littérature en tant que telle et encore moins, plus spécifiquement, avec la littérature acadienne, il demeure que je perçois en trame de fond de tous les textes qui suivent les effets d’un mode d’appréhension du monde réorganisé par la pensée en réseau, que je ne sentais pas (encore) particulièrement, globalement, dans ceux de 2006. Même chose pour une sorte d’aura de dépossession dont on ne sait trop si elle trempe ses racines dans le country, le blues et les complaintes de notre continent ou dans le spleen de la tradition littéraire française.

Enfin, chacun des poètes rassemblés ici est forcément le produit de son époque qu’il gobe, mastique et recrache selon son bagage, ses références. À la dépossession, l’aliénation et la perte des repères, forts d’un bagage culturel de plus en plus solide et multiple, on répondra tantôt par le gothisme romantique, tantôt par une mixture de cynisme et de contestation, tantôt par l’autodérision et la fausse naïveté. Mais toujours par la poésie et peu importe laquelle. Écrire icitte, astheure, c’est déjà un doigt d’honneur à l’effritement des repères, c’est déjà une victoire sur le temps. Le faire avec de la gueule, c’est un bonus.

C’est quand même pas si pire.


[1] THIBODEAU, Serge Patrice, « Poésies acadiennes : paroles émergentes » dans EXIT revue de poésie, no. 44, Éditions Gaz Moutarde, Montréal, 2006, pp. 77 – 110.

[2] On me pardonnera de ne pas utiliser le mot « relève » comme tout le monde, mais j’ai de la misère à m’y résigner. Personne n’est tombé, à ce que je sache, surtout que plusieurs des premières figures de la modernité non seulement continuent de se tenir debout, mais continuent à produire, à nourrir le corpus littéraire acadien. Non seulement ils ne sont pas tombés, mais bons joueurs, ils ont la main tendue pour aider les jeunes coques à sortir de leur trou, à prendre la parole. J’ai souvent l’impression qu’ils saluent les nouvelles modulations, les changements de ton dans la voix du peuple, ou l’irrévérence de la jeunesse. J’aimerais d’ailleurs remercier en passant Serge Patrice Thibodeau, qui en est le parfait exemple et qui m’a non seulement fait confiance en me passant le flambeau pour le dossier, mais qui m’a aussi été d’une aide précieuse à différentes étapes du travail.

2 commentaires

  1. Merci Jonathan de me faire découvrir ce nouveau numéro d’Exit. Je vais me le procurer. J’ai lu le texte de Wade. Il me semble qu’il tire de tous les bords. D’une part, tous les écrivains sont nationalistes (et il offre une liste non exhaustive), d’autre part, la poésie est individualiste, égoïste et plein d’autres adjectifs. Est-ce l’un ou est-ce l’autre ? En tout cas, je quitte l’Université Laval cet été et je reviens à Moncton. J’ai obtenu une Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et milieux minoritaires. D’une certaine façon, je remplace Raoul Boudreau bien modestement.

    J’ai quelques idées dont je te parlerai un jour. Bien aimé ton premier recueil que je devrai relire plus lentement.

    Vis-tu dans le Grand Nord Acadien ? Au plaisir !

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